Prendre la data par le bon sens (1ère partie)

par | Déc 14, 2022 | Oh, data city !

La data est devenue une discipline à part entière dans l’entreprise, au travers des organisations. Mais la route est tortueuse, et bien plus longue, par exemple, que celle qui nous mène à la digitalisation/dématérialisation de nos vies personnelles et professionnelles. Car, dans le monde de la data, il n’y a pas eu ces Facebook, LinkedIn, Google, Zoom ou Slack qui ont imposé des nouvelles manières de travailler ou d’interagir.

Pourtant, il y a eu une phénoménale montée en puissance des compétences, à tel point que le métier de consultant data figure dans le top 25 des métiers les plus recherchés en France et dans la plupart des pays en Europe en 2022 selon LinkedIn. On a vu s’établir un écosystème de spécialistes, du côté des éditeurs, des cabinets de consultants et dans les entreprises elles-mêmes. L’innovation est à portée de mains, mais, jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de solution toute faite dans le domaine de la data. Et ce ne serait du reste pas souhaitable, car cela reviendrait à créer un silo, alors que l’on a appris que les silos détruisent la valeur de la data.

Réussir son initiative data c’est donc parvenir à s’approprier cet écosystème pour mettre en place un système sociotechnique spécifique à l’entreprise (que Wikipedia définit comme un réseau tissé entre acteurs économiques et sociaux autour d’un produit ou d’un service). Beaucoup d’entreprises ont atteint un niveau de maturité suffisant pour établir un tel système, en mesure de favoriser les innovations qui sont cohérentes avec son fonctionnement et de bloquer celles qui ne s’y intègrent pas.

Prendre la data par le bon sens : c’est cela qui rend notre travail passionnant, mais difficile. Cela nécessite de s’appuyer sur trois leviers de progrès : l’organisation (traité dans cet article), l’architecture et la gouvernance (traités dans son second volet).

Instaurer la discipline de la data avec la data office

Selon une étude de PWC, 42 % des entreprises européennes se sont dotées d’un Chief Data Officer (CDO), soit une augmentation de 75% par rapport à 2021. Beaucoup d’autres ont mis en place un centre d’expertise dédié à la data, dont les missions ont pris de l’envergure, et dont les leaders ont gagné en pouvoir de décision. Mais ils doivent aussi faire face à d’importants défis au point que la longévité moyenne d’un CDO à son poste est actuellement inférieure à deux ans.

Instaurer la discipline de la data avec la data office

La data office joue un rôle majeur dans la route qui mène à l’entreprise data-driven. Son rôle est d’abord de définir la stratégie et la feuille de route, comment la data peut concrètement se décliner en réponse aux enjeux business, et comment s’organiser pour rendre toutes ces belles idées opérationnelles. L’objectif est aussi d’avancer dans la courbe de maturité en identifiant les faiblesses et les axes souhaités d’amélioration.

Il convient ensuite d’instituer les mécanismes pour associer les data à leur valeur business, prioriser les initiatives et les domaines ciblés, tout en développant le noyau dur des best practices sur l’analytique. Pour y parvenir, la data office doit s’appuyer sur des équipes pluridisciplinaires, qui ne lui reportent pas nécessairement, mais qui permettent d’engager le plus tôt possible ceux qui mettent les données au service de leur activité.

Son principal défi est de mettre en place la gouvernance, en jouant à la fois le rôle d’agent du changement et de contrôleur, et parfois même d’empêcheur de tourner en rond. Comme la valeur de la donnée a considérablement augmenté, il ne s’agit pas seulement de la partager, mais aussi de la protéger, de la sécuriser et de gérer les risques : la gouvernance des données nécessite de maîtriser l’art du compromis par des stratégies d’usage de la data à la fois défensives et offensives.

Au-delà de la gouvernance, et dans l’objectif de pérenniser les usages dans l’entreprise, la data office doit aussi créer le socle et la masse critique. C’est pourquoi elle opère fréquemment comme un centre de services centralisé et partagé. Ainsi, elle développe le modèle opérationnel cible, les best practices et méthodes, les standards et les plateformes, mais aussi un environnement favorable au développement des talents, depuis la définition des rôles jusqu’à la formation, le recrutement, ou le développement des carrières.

Elle doit être un terreau d’innovation, au travers d’un data lab qui est une cellule multidisciplinaire permettant d’expérimenter de nouvelles idées ou de nouveaux cas d’usage en mode « try and fail », sans perturber la nécessaire industrialisation des initiatives data plus matures.

Enfin, son rôle est de diffuser la culture data dans l’entreprise. Dans le digital, on a vu l’émergence du rôle de Chief Digital Officer. Mais, beaucoup ont depuis disparu, parce qu’arrivés au bout de leur mission : on a considéré que la transformation numérique avait réussi et que chacun se l’était approprié dans l’entreprise. C’est peut-être aussi la destinée des data office et de leur Chief Data Officer : celle d’être des agents du changement qui facilitent la montée progressive en puissance d’initiatives dont les responsabilités sont ensuite décentralisées une fois que les différentes activités de l’entreprise sont prêtes à les prendre en main de manière autonome. Pour la data, une telle transformation est plus longue que dans le digital, mais pour les entreprises les plus matures, la tendance tend vers la décentralisation.

Décentraliser la gestion de la data pour en généraliser les usages: la promesse du data mesh

D’où le fait que les principes de data mesh soient dans l’air du temps : introduits en 2019 par Zhamak Dehghani lorsqu’elle était en charge de la practice d’architecture de systèmes distribués d’une importante société de conseil, ils ont mis un malicieux coup de pied dans la fourmilière de l’écosystème data. Le data mesh propose un cadre pour décentraliser les initiatives data, en immergeant ses spécialistes dans les opérations business plutôt qu’en embarquant les métiers dans les initiatives data. Car c’est bien au niveau de l’organisation que le bât blesse. Une étude de BARC met en effet le doigt sur le fossé qui se creuse entre les consommateurs de données, sur le terrain, et les équipes IT ou data centralisées qui les alimentent. 65 % des décideurs interrogés déplorent un manque d’autonomie des domaines fonctionnels, qui n’ont à leurs yeux pas suffisamment de responsabilités sur les data, et une culture data & IT insuffisantes (selon 53% des décideurs interrogés).

Il serait donc temps de déléguer les responsabilités des data aux grands domaines fonctionnels en s’inspirant des démarches de conception pilotée par le domaine (ou domain-driven design) utilisées dans le monde du software.

Le data mesh : un cadre pour décentraliser les responsabilités

La deuxième ligne directrice, elle aussi empruntée au monde du software et des systèmes distribués, vise à packager la data comme un produit pour faciliter sa consommation en la rendant plus facilement accessible, comprise, échangeable et réutilisable. L’objectif est en même temps d’industrialiser la production et de mieux maîtriser la qualité de la data, en imposant la rigueur héritée des pratiques de product management dans le design et la gestion de leur cycle de vie, depuis la roadmap jusqu’à la documentation en passant par les contrats de service.

Ces deux premiers principes sont source de rupture. Mais, pour qu’ils soient applicables au monde de la data, encore faudrait-il que les data products décentralisés soient universellement accessibles de manière transverse, en mode libre-service. Ce troisième principe n’est pas nouveau dans le monde de la data, mais ne s’est pas développé aussi vite qu’on aurait pu l’attendre. Or, plus la data sera produite de manière distribuée, plus il est indispensable d’avoir un mécanisme universel qui permette à tout un chacun dans l’entreprise de la consommer en toute autonomie, sans friction ou dépendance à des intermédiaires, un peu à la manière des moteurs de recherche qui sont des points de passage incontournables pour accéder au web.

Enfin le quatrième principe concerne la gouvernance. Plus les responsabilités sur la data se distribuent, plus les règles du jeu communes doivent être clairement définies tandis que leur mise en application doit être contrôlée. Une gouvernance des données fédérée doit être mise en place, et son contrôle doit être automatisé autant que possible.

Le mérite du data mesh est de poser un cadre commun. À l’instar des principes de data warehousing et de data mart posés par Bill Inmon et Ralph Kimball dans les années 1990, ils ne constituent pas une recette de succès, mais plutôt une source d’inspiration pour amener les initiatives autour de la data à un plus haut niveau de maturité. Zhamak Dehghani définit du reste le data mesh comme un système de mise à l’échelle. Il s’appliquera difficilement avant d’avoir atteint un certain niveau de maturité et une masse critique. Il faut disposer de suffisamment d’experts de la data pour pouvoir les disperser au travers des domaines fonctionnels, tout en étant capable d’assurer la gouvernance fédérée. Toutes les organisations ne sont pas prêtes pour mettre en œuvre ce type d’organisation, mais cela peut être leur étoile polaire dans le chemin vers la maturité.

Organiser la montée en puissance par l’organisation, mais aussi par l’architecture et la gouvernance

Cette première partie a permis de s’intéresser à l’organisation. Dans la seconde partie de l’article, nous nous intéressons à l’architecture et à la gouvernance.

Cet article s’appuie sur une présentation réalisée pour le keynote des data days de KPC consulting à Paris. Cliquez ci-dessous pour accéder à la présentation dans sa totalité.


Jean-Michel Franco

Jean-Michel Franco

Jean-Michel Franco est consultant indépendant, avec plus de 30 ans d’expérience dans le marketing produit et les stratégies autour de la data, depuis leur intégration jusqu’à leur gouvernance et leur analyse,

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